Le roi est mort, vive le roi ! (III) : Blatter allonge la monnaie


L
Vendredi 4 Septembre 2009

On avait accusé Blatter de détourner l’argent et les ressources de la FIFA pour sa propre campagne, un mensonge qu’il tenait à dénoncer de toute urgence, sur-le-champ, ici même à Nairobi! Blatter rassembla les journalistes locaux venus l’attendre à l'aéroport, et regardant chacun dans le blanc des yeux, déclara, en “insistant avec véhémence” comme l’écrivit l’un d’eux: “Aucun frais de déplacement, aucun fax, aucune lettre, aucun coup de téléphone, rien. Pas un sou! Tout ce que me donne la FIFA, c’est son soutien moral!”
Il était temps désormais de travailler au corps les responsables du Kenya, de l’Ouganda, de la Tanzanie, de Zanzibar, de la Somalie, de l’Ethiopie et du Soudan, soit la région centrale et orientale de l’Afrique.
Les officiels africains  étaient trop malins pour soutenir Blatter sur-le-champ. Ils voulaient voir ce que Johansson pourrait leur offrir de plus. Même ainsi, Blatter déclara: “Je me sens terriblement optimiste”. Une douzaine d’heures après avoir atterri à l'aéroport Jomo Kenyatta, il repartait vers Sonnenberg. Le lendemain, la une de l’East African Standard résumait sa visite : “Promesse de gros sous.”
Comment M. Blatter, désormais sans emploi, finançait-il donc sa dispendieuse campagne, louant des jets privés pour sillonner le monde, recevant dans des hôtels de luxe, promettant des voyages gratuits à Paris, toujours accroché à son téléphone portable? Son rival Johansson, qui avait reçu 534.000 dollars de l’UEFA, déclara aux journalistes: “Le comité exécutif a approuvé cela. Tous les détails sont disponibles, tout est public. Il n’y a rien à cacher”.
Blatter dit à un journaliste qu’il n’avait que 135.000 dollars à dépenser, puis à un autre que son budget était en fait de 300.000 dollars. Plus tard, il confierait en passant qu’il avait “quelques petits sponsors”, dont le richissime Mohamed Bin Hammam, de l’émirat du Qatar, petit Etat du golfe Persique regorgeant de gaz et de pétrole. Quelques jours avant l’élection, il déclara: “ Je suis presque à court de fonds. Michel Platini a gentiment proposé de régler la note des boissons et des rafraîchissements que nous prendrons ce matin”.
Platini prit la relève: “Que signifie la FIFA pour les joueurs d’aujourd’hui? Rien. Les gens qu’ils voient sont des chefs de file, logeant dans des cinq étoiles et déjeunant dans les restaurants les plus chers. Nous voulons changer tout ça”. Platini s’adressait à un journaliste de l’Associated Press qui nota, imperturbable: “Le comité organisateur de Platini a payé pour la conférence de presse, tenue dans la salle de réunion d’un hôtel quatre étoiles, puis nous a offert champagne et canapés.”
“Ils m’ont offert 100.000 dollars pour que je change d’avis et vote pour Blatter! La moitié en liquide et le reste en équipement de football pour mon pays!” Une fois lancé sur le sujet de l’élection de 1998, l’homme svelte en casquette blanche et lunettes dorées se montra intarissable. Il s’appelait Farah Addo, vice-président du football africain. “Quand je leur ai répondu non, ils ont dit: “D’accord, mais on veut quand même que vous influenciez les autres”... Ils me prenaient pour un idiot.”
Tout à coup, avoir attendu deux jours dans la chaleur et la poussière rose du Mali, en observant, dans la nuit plus fraîche, les camions passer avec fracas en direction de Tombouctou semblait en valoir la peine. En janvier 2002, tous les officiels de la Coupe d’Afrique des nations semblaient vouloir un rendez-vous avec Farah Addo, ancien arbitre international à présent politicien influent du football, et je me trouvais tout au bout de la file. Addo tenait audience dans un bureau dépouillé aux murs blanchis à la chaux, dans un petit immeuble de deux étages à Bamako, juste en face du large et lent fleuve Niger.
Flanqué de représentants vêtus d’amples boubous et venus de tout le continent, Addo racontait son histoire avec vigueur, sa fine moustache sursautant entre deux phrases. Une histoire troublante. Dans son bureau du Caire, il avait reçu un coup de fil d’un ex-ambassadeur somalien, appelant d’un pays du Golfe. Agissant à titre d’intermédiaire, il lui offrait un pot-de-vin de 100.000 dollars en échange de son vote pour Blatter. Ses commanditaires tenaient particulièrement à avoir Addo dans leur camp parce qu’il était également président de la Confédération d’Afrique du Centre et de l’Est et qu’il pouvait influencer plus d’une douzaine de votants.
Addo les envoya balader et n’y pensa plus jusqu’à ce qu’il ait un choc en arrivant à  Paris. “Quand je me suis présenté à l’hôtel à Montparnasse, mon nom n’était pas inscrit au registre. Il n’y était pas non plus au comptoir où l’on retirait son badge d’accréditation. Heureusement, j’avais avec moi une copie de ma demande de légitimation en tant que président de la fédération de football somalienne. » Addo fit pression sur les dirigeants du football africain et européen. « Ils sont allés trouver la direction de la FIFA, lui disant qu’ils feraient un scandale si on ne me rendait pas mon droit de vote. » Tout rentra dans l’ordre.
A SUIVRE


Addo a toujours été clair sur le fait qu’il n’existait aucune preuve que Blatter ait eu connaissance d’une quelconque tentative de corruption à son encontre, ou d’un éventuel escamotage de son vote. Les affirmations d’Addo selon lesquelles on lui avait offert un dessous-de-table substantiel pour qu’il vote en faveur de Blatter furent amplifiées par d’ex-officiels somaliens qui confirmèrent qu’on leur avait offert un mélange d’argent en liquide, de billets d’avion et de défraiements pour se rendre à Paris. Certains déclarèrent que l’homme derrière ces pots-de-vin était Mohamed Bin Hammam.
Bin Hammam est un petit homme mince d’une cinquantaine d’années, avec un front dégarni et des frisettes noires. Il a le sourire facile, et quand il vous reçoit, il commande du café avant même de débuter l’entretien ; mais que survienne un point de désaccord et ses yeux se plissent, sa fine moustache se tord et il fronce les lèvres dans une moue de dédain. Il n’a sans doute pas l’habitude d’être contredit, étant plutôt habitué au respect d’un entourage chargé de porter ses bagages et de régler ses notes, toujours un pas derrière lui et ne le regardant jamais dans les yeux. Ses tenues sont classiques et, qu’il porte un costume cintré ou une longue djellabah en soie blanche, on devine que son tailleur y a consacré des mois de travail.
Il n’est pas simplement riche. Il fait partie de la bande sélecte des trente-cinq hommes siégeant au Conseil consultatif du Qatar, triés sur le volet par le monarque absolu, l’émir Hamad Bin Khalifa al-Thani. Membre exécutif de la FIFA depuis 1996, Bin Hammam est l’un des favoris de l’émir. Sa position éminente dans la politique mondiale du football confère un statut sportif à un pays minuscule qui paie très cher des vedettes étrangères venues finir leur carrière dans le championnat local. Accessoirement, le Qatar verse des fortunes à de jeunes coureurs africains pour qu’ils changent de nationalité et remportent des médailles pour leur nouveau pays.
Quand les allégations de corruption commencèrent à se répandre, Bin Hammam publia un long démenti. Il estimait qu’il ne s’était rien passé d’anormal en 1998. « Il est regrettable de voir que ce que nous considérions comme un duel équitable entre chevaliers s’est désormais transformé en sale guerre. J’ai immensément aidé M. Blatter dans sa campagne pour les élections de 1998 et certains ont même affirmé que j’étais le principal artisan de sa victoire, non pas parce que j’aurais soudoyé des gens mais simplement parce que nous avons  planifié le combat. Nous étions sur le terrain pendant que d’autres étaient assis derrière leur bureau. »
Bin Hammam révéla le coût personnel de son soutien à Blatter. « Nous nous trouvions à Paris et projetions un voyage en Afrique du Sud sur un vol commercial, n’appartenant pas à Son Altesse l’émir du Qatar. La veille de notre départ, j’ai reçu un appel affolé de ma femme, m’apprenant une terrible nouvelle : mon fils âgé de vingt-deux ans avait eu un très grave accident ; dans le coma,il luttait entre la vie et la mort, penchant davantage vers cette dernière, dans une unité de soins intensifs. Elle voulait que je rentre immédiatement à Doha. Je lui déclarai que je regrettais et m’excusai auprès d’elle, mais mon fils n’avait pas besoin de moi, il lui fallait la bénédiction de Dieu et l’aide de ses médecins, tandis que M. Blatter, lui, avait vraiment besoin de mon aide. Ainsi, j’ai sacrifié ce qui était peut-être l’occasion de voir mon fils pour la dernière fois ».
Lennart Johansson et Michel Zen-Ruffinen, alors secrétaire général de la FIFA, m’ont confirmé que les documents d’inscription d’Addo au congrès de 1998 avaient été falsifiés pour l’exclure du vote, sans qu’ils me disent par qui. Selon eux, ils durent insister pour qu’on lui restitue son accréditation. Addo a plus tard soutenu que dix-huit officiels africains, pas moins, tout en s’étant officiellement engagés à soutenir Johansson,  avaient vendu leurs voix aux partisans de Blatter. Cela suffisait pour modifier l’issue du scrutin. Si ce que disent Addo et d’autres est vrai, Blatter est un président illégitime et Johansson a été spolié.
Fin 1998, un journaliste suisse a demandé à Blatter s’il était vrai que sa coûteuse campagne avait été financée par le Qatar. Il a nié, répliquant : « L’émir m’a prêté son avion une seule fois, pour un vol de Paris à Dakar. » Et il ajouta qu’il avait payé de sa poche la totalité de ses frais de campagne.
Quand, en 2003, j’ai interrogé Bin Hammam sur ces allégations, il m’a invité à  un séjour au Qatar tous frais payés en tant que son invité personnel. Il m’a écrit ceci : « J’espère que vous accepterez mon invitation. Dites oui et je vous enverrai le billet d’avion à votre adresse ».
L’espace d’un instant, je me suis surpris à imaginer la vie d’un  fantassin dans le monde politique de la FIFA. J’ai la cote avec un homme richissime et célèbre, qui veut m’emmener en voyage. Il va m’envoyer les billets chez mois. Luxueuse hospitalité. Hôtels somptueux. Peut-être qu’il me donnera de l’argent de poche ? Je me pinçai et pris ma plus belle plume pour décliner poliment son invitation.


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